
J’me rappelle des promenades que l’on faisait souvent. Ma grande soeur, mes deux frères et moi, serrés à l’arrière de la vieille Renault 12 de mon père. À l’époque, la ceinture ce n’était pas très important comme la fumée des gitanes sans filtre que mon père fumait les vitres fermées. C’est comme si tout le monde était prédestiné à mourir du cancer des poumons. Presque collé à la vitre, mes expirations faisaient de la buée. C’était des moments de vie, mes moments vivants. Comme quand ma soeur me surprenait à essayer ses robes et qu’elle ne disait rien à nos parents. Peut-être qu’elle s’en fichait ou peut-être qu’elle savait qui j’étais vraiment. Ma soeur rigolait, c’était rare de la voir sourire alors nos moments à deux resteront certainement mes plus beaux souvenirs. À l’école on disait que j’étais maniéré et que je ne devais pas exister. Alors parfois pour oublier, je descendais en bas de chez moi pour m’installer dans la Renault. Je m’allongeais à l’arrière et je fixais le ciel, les nuages voulaient jouer avec moi jusqu’à ce que la tête de ma soeur apparaisse dans le ciel. C’était déjà l’heure du dîner. Trente-cinq années de dîner, parfois souvent seul. Je me trouve assis là sur cette chaise qui ne paye pas de mine, dans un appartement presque en ruine mais pas autant que mes yeux, qui ont trop pleurés. Savez-vous ce que devient un gamin préférant rêver sa vie plutôt que de vivre ses rêves ? Rien, il ne devient rien. Pour survivre, je travaille la nuit dans un club. Alors oui je me maquille mais les robes ne ressemblent pas à celles de ma soeur. C’était drôle de voir les changements d’humeur. Le soir on t’applaudit, le lendemain on te choisit un cercueil. Les insultes, les « sale pédé », étaient mon quotidien. Et je n’avais même pas de voiture pour regarder les nuages. Alors je me suis approché de la fenêtre, j’étais au cinquième étage et je m’disais que si je sautais les gens seraient satisfaits. Et quand j’ai vu le sol de plus près, j’ai pensé à ma soeur. À la seule personne qui m’a fait croire que je n’étais pas seul. Pour de vrai aujourd’hui je joue avec les nuages et je veille sur toi ma soeur, toi qui m’as fait sentir femme.